Play Lire

share.page_on

Actualité 29.07.2025
Interview croisée : La réponse au casse-tête des matériaux composites dans l’aviation

Dès 2005, l’Airbus 380 a marqué une étape décisive, en devenant le premier avion civil à intégrer 25 % de composites dans sa structure à son lancement. Des programmes plus récents, comme les avions concurrents Airbus A350 et Boeing 787, ont repoussé cette limite, avec plus de la moitié de leur structure composée de composites, jusqu’à 53 % pour l’A350. La tendance se poursuit : les avions nouvelle génération font encore davantage appel à ces matériaux. En ligne avec cette dynamique d’évolution de l’aviation, SEGULA Technologies s’investit depuis des années dans le développement de nouveaux matériaux pour l’aéronautique. Explications avec Luc Becker, Référent Composite et Responsable de projet collaboratif, et Loïc Durual, Chef de projet Équipe Composite.

À quelles priorités les nouveaux matériaux composites doivent-ils répondre ?

Loïc Durual : Dans l’aéronautique, le poids est l’ennemi numéro un. Même si les composites sont déjà plus légers que les alliages métalliques traditionnels, les constructeurs en veulent toujours plus. L’objectif ? Alléger encore les structures pour améliorer les performances et l’autonomie des avions, tout en réduisant la consommation de carburant, donc les émissions de gaz à effet de serre.
L’enjeu environnemental est également clé. Tous les matériaux composites ne se valent pas sur ce plan. L’époxy, par exemple, est l’une des résines les plus répandues dans l’industrie aéronautique. Utilisée comme matrice dans les composites avec des fibres de carbone ou de verre, elle est légère, rigide, stable thermiquement et très adhérente. Mais elle est difficile à recycler. Cette résine thermodurcissable ne peut pas être refondue une fois polymérisée. C’est pourquoi, nous nous intéressons de plus en plus aux thermoplastiques comme le PEEK, ou Polyétheréthercétone.

 

Luc Becker : Le PEEK séduit en effet le secteur aéronautique par ses excellentes propriétés mécaniques, sa légèreté et sa forte stabilité thermique. En effet, les conditions thermiques des trajets aériens sont généralement soumises à d’importantes variations de température, allant de plus de 50 °C lors d’un arrêt au sol en été à des températures extrêmement négatives à une altitude de croisière de 12 000 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Et à l’inverse de l’époxy qui doit être collé, le PEEK offre en plus la possibilité de soudure pour des assemblages plus propres, de meilleure qualité, avec la perspective d’être refondu pour une seconde vie. Une fois chauffé, ce polymère peut être extrait et retransformé, ce qui ouvre la voie à des stratégies de réemploi et de réparation des pièces. Mais cette solution a un coût. Le PEEK est un matériau très onéreux, ce qui limite aujourd’hui son usage à des applications à forte valeur ajoutée.

 

 

Quels défis devez-vous relever pour concevoir les composites de demain ?

Loïc Durual : Quand on parle d’innovation dans les matériaux composites pour l’aéronautique, les enjeux vont bien au-delà de la réduction de poids ou de l’impact environnemental. Le choix des matières premières constitue une réelle problématique. Ce n’est pas qu’une question de fibre ou de résine. Il faut avant tout trouver des fournisseurs susceptibles de proposer les fibres adaptées, qu’elles soient en carbone, verre, ou textile, avec l’enzymage correspondant, pour assurer la bonne accroche avec la résine, dans l’objectif de fabriquer des composites à la fois légers, résistants et durables. Ces partenaires restent aujourd’hui très rares.

 

Le second défi à relever réside dans le développement même des produits. Mettre au point un composite coûte extrêmement cher, surtout dans le cadre de plans d’essais dans une démarche de conception itérative. Changer un paramètre, qu’il s’agisse de la température de fabrication, de la proportion de fibres, de l’orientation des plis dans le matériau ou de la géométrie d’une pièce, peut rapidement faire exploser le nombre d’essais nécessaires. Il n’est pas rare d’en effectuer 600, voire 1 000, avant d’atteindre la version optimale. Or le prix des fibres de carbone peut atteindre 50 euros par kilogramme. Celui du PEEK plusieurs centaines d’euros par kilogramme. Autant dire que chaque itération doit être mûrement réfléchie pour limiter raisonnablement les budgets.

 

Dernier challenge important : l’assemblage des pièces. Trois techniques (collage, soudure ou assemblage mécanique) sont principalement exploitées. Chacune a ses avantages et ses limites. La colle, par exemple, va être un frein à certains endroits de la structure et pose question en matière de recyclabilité. Il convient d’en tenir compte quand on conçoit de nouvelles pièces. La soudure est réservée aux matériaux thermoplastiques, comme le PEEK. Elle permet de réaliser des assemblages monomatières, plus simples à recycler et souvent plus robustes. Enfin, l’assemblage mécanique reste une option, mais peut alourdir les structures.

 

Au final, chaque décision, qu’il s’agisse de la matière première, du développement ou de l’assemblage, a un impact direct sur la performance, le coût ou la durabilité. Il est donc essentiel d’avoir une vision d’ensemble pour chacun de nos développements. C’est justement cette expertise transversale que nous savons maîtriser pour le secteur aéronautique.

 

 

Loïc Durual, Chef de projet Équipe Composite

 

 

Quels sont les points forts de SEGULA dans le secteur des matériaux composites dans l’aéronautique ?

Luc Becker : SEGULA se distingue par plusieurs atouts principaux. Le premier, et non des moindres, repose sur notre maîtrise pointue des calculs et des simulations numériques, un levier puissant pour accélérer l’innovation sur le choix des matières premières, les essais mécaniques ou l’assemblage des pièces. Grâce à ces outils, nous pouvons réduire considérablement les coûts et les temps d’itération pour le développement de nouveaux produits, et sommes désormais en mesure de proposer de nouvelles idées et de prouver qu’un matériau est fonctionnel.

 

Nous savons modéliser le comportement de la résine et des fibres, optimiser la conception des pièces, jouer sur un grand nombre de variantes d’un procédé et envisager tous les tests imaginables sans passer par la case fabrication, excepté à la fin notamment dans la perspective d’homologation. Cette approche nous permet de diminuer drastiquement les coûts, mais aussi de valider en amont la fiabilité des nouveaux matériaux.

 

Cette expertise est complétée par notre capacité à intervenir sur toute la chaîne de valeur. SEGULA dispose effectivement de l’ensemble des compétences pour accompagner les acteurs de l’aéronautique, de la formulation à l’industrialisation des pièces, par extrusion ou fabrication additive, en passant par l’analyse du cycle de vie. Nous fournissons ainsi à nos clients des solutions complètes et sur mesure, adaptées à chaque projet aéronautique.

Quelles que soient les exigences des sujets d’optimisation de matériaux, nous avons la capacité d’y répondre et avons déjà acquis de l’expérience.
Autre force de SEGULA : notre écosystème de partenaires scientifiques.

En nous alliant à des laboratoires de recherche et des fournisseurs de matières spécifiques, nous bénéficions d’un accès permanent aux dernières avancées dans le secteur des matériaux, tout en menant en parallèle des projets collaboratifs sur fonds propres pour explorer de nouvelles pistes et rester à la pointe de l’innovation. C’est cette combinaison entre expertise en simulation numérique et vision d’ensemble qui nous permet de relever de nouveaux challenges, aujourd’hui comme demain. Repenser les matériaux composites, alléger les structures, réduire l’empreinte carbone dans l’aéronautique : autant de chantiers stratégiques sur lesquels nous entendons jouer un rôle moteur.

 

Luc Becker, Adjoint chef de projet Équipe Composite

 

 

 

PROJET RÉSILIENCE : L’INNOVATION DE LA ROUTE VERS LE CIEL

En 2024, Loïc Durual et Luc Becker ont uni leurs expertises au sein d’une équipe pluridisciplinaire (Conception, Simulation, ACV, Procédés, …) spécialiste des composites, dans le cadre du projet Résilience (Service projets collaboratifs), lauréat du plan de relance de l’industrie automobile et aérospatiale.

 

Destiné à contribuer à une mobilité plus légère, plus durable et plus efficace, ce projet a eu pour ambition de redéfinir fondamentalement la manière de concevoir et fabriquer des véhicules tout en offrant un potentiel considérable pour l’ensemble des secteurs de la mobilité. Afin d’atteindre l’objectif ambitieux de réduction de masse de 40 à 50 %, SEGULA Technologies et ses partenaires se sont appuyés sur trois axes essentiels :

 

⏵Une refonte complète de la conception en rupture avec l’architecture classique, tout en intégrant les principes de l’écoconception,

 

⏵Le développement de matériaux composites thermoplastiques innovants, performants, durables, 100 % recyclables, valorisables et intégrables sur des pièces structurelles,

 

⏵La recherche de nouveaux procédés d’ingénierie pour adapter ces innovations aux cadences des secteurs de la mobilité, terrestre entre autres.

 

Un objectif qui relevait alors de l’utopie. Défi relevé ! Ils ont commencé à valider un certain nombre de briques technologiques, grâce à la validation d’un certain nombre de concepts (architecture, matériaux, moyens de fabrication et de transformation), malgré un cadre réglementaire européen exigent, posant les fondations d’une nouvelle génération de composites durables. Mieux encore, les compétences et procédés de mise en oeuvre dans le cadre de ce projet «Résilience» sont tout à fait transposables au secteur aéronautique. De quoi envisager de nouvelles applications et ouvrir la voie à des développements prometteurs. À suivre…

 

 

Mobile Pour une meilleure navigation

Retournez votre tablette